Bienvenue dans ce nouvel épisode de notre série « L’instant vinyle », cette rubrique dédiée aux pépites du passé, où nous dépoussiérons et partageons avec vous des disques de notre collection. Et pour ce soixantième opus, nous quittons le Nigeria (cf. l’instant vinyle n° 59), pour nous rendre dans la corne de l’Afrique, en Somalie, et nous intéresser à Dhabta I Saar de Faadumo Qaasim.
Une fois n’est pas coutume, mais notre instant vinyle du jour devrait plutôt s’appeler l’instant bande, car il s’agit de chansons tirées de la réédition d’une cassette de musique somalienne sortie en 1974. Et cette cassette sortie en 1974, et intitulée Dhabta I Saar, est signée de la main, et surtout de la voix d’une des plus grandes chanteuses de sa génération, Faadumo Qaasim. Cette chanteuse d’origine benadiri (ethnie somalienne de la région de Mogadiscio, que l’on appelle d’ailleurs aussi Hamar, ou peuple de Mogadiscio) a sorti cette cassette en 74 dans un contexte bien particulier.
En 1969, alors que le pays, indépendant depuis 9 ans, n’arrive pas à sortir des conflits claniques entre nord et sud, et peine à s’essayer à la démocratie, le président Abdirashid Ali Shermarke est assassiné. Le pays est au bord du chaos, prêt à plonger dans la guerre civile. C’est alors qu’un commandant sort du rang, accompagné d’une troupe de jeunes officiers, et reprend le pays en main, il s’agit de Mohamed Siad Barre. Siad Barre instaure une junte militaire, et engage de grands chantiers pour faire sortir le pays du chaos et de la corruption ; il décide d’un programme de socialisme scientifique, et promulgue des lois novatrices et révolutionnaires, comme l’égalité des citoyens devant la loi (y compris l’égalité des sexes, véritable coup de tonnerre dans une société encore profondément traditionaliste et musulmane), ou encore la gratuité des soins et de l’éducation.
C’est porté par cet élan nouveau de liberté de justice et d’égalité, que beaucoup d’artistes, dont Faadumo Qaasim, prêtent leurs plumes, leurs voix, et leurs poésies, à l’effort national, et chantent les louages de Siad Barre. Dhabta I Saar, cette K7 qui nous intéresse aujourd’hui, est totalement empreinte de cet esprit, et se partage entre chansons d’amour, et rengaines patriotes.
Mais si les succès économiques et sociaux (coopératives industrielles, grands projets agricoles, nationalisation des organes de première nécessité pour l’État : banques, production électrique, raffinerie, assurances…) des premières années de règne de Barre réussissent à faire oublier le culte naissant de sa personnalité, et l’opposition plus que largement muselée, l’avenir va rapidement s’assombrir. Tellement soucieux d’établir une grande Somalie, Barre montre rapidement ses velléités belliqueuses, et tente d’annexer les territoires de l’Ogaden, frontalier avec l’Éthiopie. Il sera repoussé, et au-delà d’avoir perdu la guerre, c’est également le soutien de l’URSS qu’il perd, la grande puissance soviétique et son allié cubain ayant décidé de soutenir dans cette guerre fratricide, l’Éthiopie marxiste de Mengistu Haile Mariam.
Dès lors, la Somalie s’enfonce dans une dictature terrible, au fur et à mesure que le régime sombre dans la paranoïa et la schizophrénie ; la famine s’installe dans de nombreuses régions du pays, les opposants, et même les artistes qui émettraient des doutes sur la junte sont arrêtés et jetés en prison, ou contraints à l’exil
L’instabilité du pays ne fut dès lors que croissante, jusqu’à la fin des années 80, où un mouvement originaire du Nord et soutenu par l’Éthiopie, le Somali National Movement pris les armes contre Siad Barre, précipitant la région dans un conflit qui fit 60 000 morts entre 88 et 90.
Mohamed Siad Barre fut destitué en 91. L’année suivante une réédition de Dhabta I Saar de Faadumo Qaasim sortit augmentée de deux nouveaux titres, les pistes 5 et 10, ayant pour sujets l’exil, « Adeeg Yaa Noogu Diraa? (Who To Send On An Errand (To Reunite Me with My Exiled Lover]?) » et « Dalkeygow! [Oh My Land !]”, composée par l’opposant et poète en exil Abdi Muhumud Amin.
Faadumo Qaasim décédera en 2011, après presque 5 décennies de carrière.
Faadumo Qaasim – Dhabta I Saar :
Tracklist :
1. Qays & Layla (Romeo & Juliet)
2. Dalka Nuuriyow (The Light of the Land)
3. Maalin Walbaan Kuu Marqaamaye (I’m Permanently Intoxicated With You)
4. Qaanso Roobaad (« Rainbow »)
5. Dalkeygow! (Oh My Land!)
6. Dhabta I Saar
7. Wadnahayga Wehelkisaad Tahaaye
8. Kelmaddiisa Macaan
9. Aawihee
10. Adeeg Yaa Noogu Diraa? (Who To Send On An Errand (To Reunite Me with My Exiled Lover]?)
Traduction partielle du cinquième titre « Dalkeygow! » :
. . . Oh, my land!
I didn’t leave you as a tourist
No paradise on earth can replace you
In my body and soul
In my head and heart
Why am I roaming about in foreign countries?
Why am I obliged to beg and hold my hands up for strangers?
Why did I choose to live like a damned stateless person?
Why is it in my interest to opt for the status of a cursed refugee?
Oh, my land!
When clans and factions attacked each other
When relatives, friends and neighbours
Stabbed each other in the back and belly
When peace was denied and denigrated
When elders were not spared
When children were sent to the front
When all it belched was concentrated poison
That is when I had no choice
But to cross the borders
To seek a safe haven
To save my life . . .
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