C’est un curieux, mais hypnotique disque que réédite à nouveau et en vinyl le label Mississippi Records… et un disque qui est bien loin des rives du célèbre fleuve américain, et pour cause, il s’agit du disque Spielt Eigen Kompositionen de Emahoy Tsege Mariam Gebru, qui nous emmène quelque part entre les salons de musique européens, et les hauts plateaux d’Éthiopie.
Né en 1923 dans une famille aristocratique éthiopienne, Emahoy Tsege Mariam Gebru, qui s’appelait encore Yewubdar Gebru, a la chance de partir étudier en Europe. Après quelques années d’étude en Suisse, où elle découvre le violon et la musique classique occidentale, elle rentre à Addis Abeba, ou féministe convaincue, elle devient la première femme à travailler pour le service civil, la première à chanter dans une église orthodoxe éthiopienne, puis la première à travailler comme traductrice pour le patriarche orthodoxe de Jérusalem. Pendant la guerre italo-éthiopienne, elle et sa famille sont fait prisonniers et déportées en Italie. Puis, une fois libérée, elle travaille au Caire, avec le violoniste polonais Alexander Kontorowicz. De retour en Éthiopie, un des fils de l’empereur lui propose de compléter le financement d’un voyage d’étude du piano en Angleterre, après qu’elle ai reçu une bourse de la Royal Academy of Music, mais Hailé Sélassié s’y oppose. Déçu, Yewubdar fuit, et va s’isoler dans un monastère, à 23 ans elle devient nonne, prend le nom de Emahoy Tsege Mariam Gebru, et vit dans le dénuement le plus total, elle vit dans le monastère pied nu, sans eau courante, sans électricité, et, forcement, abandonne la musique. Ce n’est que quelques années plus tard que gravement malades, elle est renvoyée dans sa famille à Addis Abeba, où, une fois guérie, elle se remettra à jouer et à composer.
On retrouve ensuite sa trace dans les années 60, elle étudie la musique sacrée éthiopienne, celle de Saint Yared, et elle est touchée par l’extrême dénuement des autres élèves, forcés de mendier leur nourriture afin de pouvoir survivre et continuer à étudier. Pour tenter de les aider, Emahoy Tsege Mariam Gebru enregistre son premier album, qui parait à très peu d’exemplaires en 1963, en Allemagne, sous le nom de Spielt Eigen Kompositionen… enfin il serait plus juste de dire Emahoy Tsege Mariam Gebru Spielt Eigen Kompositionen, soit Emahoy Tsege Mariam Gebru joue ses propres compositions. Mais n’ergotons pas sur le nom… quel disque ! Minimaliste, comme les œuvres de certains compositeurs modernes comme Satie ou Duprey ont pu l’être, hypnotique et mystique, comme l’est la musique sacrée de l’Église Orthodoxe d’Éthiopie, et puis aussi… un peu terrible, à l’image du parcours de sa compositrice, partagé entre l’extrême dénuement et une piété immense, qui pousse aussi à l’espoir… enfin un espoir sur lequel plane toujours aussi un peu l’ombre de la précarité et de la déception. Bouleversant. Tous les bénéfices de ce disque ont été reversés à des œuvres humanitaires.
Quelque temps plus tard, en 1984, alors que la dictature marxiste s’installe à Addis Abeba, la nonne pianiste s’exile, et part s’installer à Jérusalem, et y gagne un monastère ; le monde l’oublie. C’est seulement en 2006, alors que la mode est à la musique éthiopienne, que le curateur de la série de disques Ethiopiques, Francis Falceto, fait redécouvrir au monde sa musique en lui dédiant un opus complet. Il illustrera le livret du disque avec ces mots : Tsegué-Maryam Guèbrou est pianiste et compositrice. Vocation fondamentale. Tout le reste n’est que fortune contrariée et logique du chagrin.
Emahoy Tsege Mariam Gebru vit toujours à Jérusalem, elle a 98 ans et se partage entre sa vie monastique, l’aide aux jeunes musiciens en Afrique et de par le monde via sa fondation, et quelques très rares concerts.
Emahoy Tsege Mariam Gebru – Spielt Eigen Kompositionen :
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