Hic sunt dracones. Ici se cachent les dragons. Sur les vieilles cartes, cette formule désignait les zones inconnues, inexplorées, dangereuses – ces territoires où le monde se dérobe sous les pieds et où l’imaginaire prend le relais. Pour Hüma Utku, artiste sonore d’Istanbul, Dracones est exactement cela : une traversée de zones obscures, une cartographie intime où les tempêtes émotionnelles se mêlent aux secousses du corps, où l’inconnu prend les traits du bouleversement maternel.
Conçu dans l’ombre chaude de la matrescence, cet album est une descente dans les abysses intérieures, une odyssée physique, mentale et spirituelle. Utku y explore la métamorphose, la mémoire transgénérationnelle, la peur, l’amour, la transformation du foyer en territoire sacré. Entre douleur et illumination, elle tisse une œuvre traversée d’éclairs industriels, d’ombres rampantes et de lumières fuyantes.
Le morceau d’ouverture, « A World Between Worlds », invoque la grossesse comme un état-limite : un monde entre les mondes. Avec l’instrument électromagnétique Lyraei de Mihalis Shammas, elle fait vibrer les cordes du visible et de l’invisible. « Comfort of the Shadows » fait affleurer les démons du dedans, tandis que A « Familial Curse » tente de briser les chaînes d’un héritage silencieux. Sur « Here be Dragons », la voix de Hüma, distordue et spectrale, danse avec les battements d’un échographe, convoquant une transe funèbre et magnifique.
À l’écoute, on pense à une version turque de Diamanda Galás, à une sculpture sonore signée Meredith Monk ou à une méditation électro-acoustique sur les seuils de l’être. Dans « Care in Consume », l’énergie psychique devient chair sonore, et « A House within a House » transforme le ventre en cathédrale rythmique. L’album se clôt sur « Ayaz’a », déclaration d’amour douce-amère à son fils, pleine de larmes et de lumière.
Avec Dracones, Hüma Utku ne compose pas de la musique : elle dresse des cartes du sensible, où chaque piste est une faille à explorer. Un disque vertigineux, organique, qui résonne longtemps après l’écoute. Ici vivent les dragons, et Hüma les regarde dans les yeux.
Hüma Utku – Dracones :
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