Il s’appelait Mouammar de Ayi Hillah, plongée dans l’amertume libyenne

Il s’appelait Mouammar. Dans son dernier ouvrage, le septième, l’écrivain Ayi Hillah nous emmène dans un voyage littéraire, et le mot pèse, qui nous plonge tout de go dans l’amertume de la Libye post-Khadafi, post-sauvetage français, post-guerre, et, surtout, post-état (de droit ou non). Pour ce faire, il envoie son héros-témoin, un certain Kenyon, poète belgo-togolais – dont on ne peut que constater les nombreuses similarités avec l’auteur, lui aussi togolais, lui aussi résidant en Belgique, lui aussi amoureux des mots et de leurs sons – tout droit dans un enfer Libyen à peine refroidi, où les braises de la guerre, ravivées par le souffle du djihadisme, a laissé place à un vaste et morne désert de cendres et d’amertume, où les ruines, autant que les quelques personnes de raisons qui y errent encore, tressaillent à chaque nouveau soubresaut de violences entre factions armées criminelles.

Et si Kenyon se rend à Syrte pour tenir une promesse, celle de se revoir, faites quelques années auparavant à Mustafi, un ami, un poète libyen, il s’avère que son séjour se transformera rapidement en une quête de vérité, et une volonté de témoigner du chaos, de l’amertume, et aussi de la nostalgie qui règne en Libye, et qui habite le cœur de ses habitants ; en tout cas ceux que Kenyon rencontre. Et de là nait probablement une prise de position de Ayi Hillah, qui probablement divisera son lectorat en deux !

Car voilà, autant l’on ne peut qu’approuver son constat sur le chaos qui règne actuellement en Libye, et sur les motivations plus que douteuses de la France dans son implication très volontaire dans la guerre (hasard de l’actualité, mais la sortie de ce livre coïncide avec l’audition de Claude Gueant sur son implication dans le financement libyen de la campagne de Sarkozy, et avec la publication par Mediapart de longs morceaux choisis du témoignage de Saif al-Islam Khadafi), mais Ayi Hillah nous dépeint aussi dans ce livre une Libye khadafiste presque idyllique. Alors certes c’est aussi là le reflet de la nostalgie des personnages libyens, et l’on sait qu’il est plus facile de regretter ce que l’on a perdu, ne fut-il pas grand-chose, que de rêver à un avenir meilleur, mais tout de même !

Même s’il faut reconnaitre que la vie en Libye sous Khadafi n’était pas aussi horrible que BHL l’a crié sur tous les toits, qu’au moins une partie des fameux pétrodollars qui excitent le monde, était partagé au peuple par le biais d’aide, et de subventions publiques, et que donc l’essence, le logement, comme la nourriture ne coutait presque rien… et la liste peut probablement être rallonger encore, il ne faut pas oublier que durant cette période les riches libyens allaient se faire soigner en Tunisie, quand ce n’était pas en Europe, et que le clan Khadafi reste malgré tout un amas d’intrigants, de gangsters, et de jetsetteurs décadents, qui ont tenu aussi longtemps au pouvoir plus grâce à l’argent, qu’à l’influence du fameux petit livre vert du guide de la Jumhūriyya al-ʿArabiyyah al-Lībiyyah.

Revenons au livre, avec Il s’appelait Mouammar, vous l’aurait compris, Ayi Hillah signe ici une œuvre qui ne laisse pas indifférente, et suscite la réflexion, autant que le débat. Mais, s’il y a un point qui lui ne créera aucune controverse c’est bien le style, et c’est à dessein que nous insistions plus haut sur le caractère hautement littéraire de cet ouvrage, car si Ayi peut titiller, échauffer, asticoter voir même agacer avec ses prises de positions tranchées, la légèreté et la finesse de sa plume, elle, mettra les amateurs de mots, et de livres d’accord.

Notons que vous pouvez acheter ce livre dans toute bonne librairie, ou via la page facebook de Ayi Hillah !

 

Il s’appelait Mouammar de Ayi Hillah – Extrait :

Et Mustafi s’en alla, vers sa couchette, me laissant seul avec mes pensées. Pendant ce temps, obstinée, la petite voix intérieure revint et me dit, comme une vérité incontestable : « En dépossédant le Libyen de son territoire, en cédant au profit du pétrole, aux décisions ténébreuses et hypocrites de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire Internationale qui, chaque jour, désagrègent un peu plus le peu de dignité qui leur reste, on sacrifie l’avenir de ceux qui n’auront rien demandé à personne ; le Libyen d’aujourd’hui tout comme celui de demain. Je pense que le premier devoir de l’humanité, c’est de ne rien faire, de près ou de loin, directement ou indirectement, ici ou ailleurs qui peut en quoi que ce soit influer sur le libre choix du destin d’un peuple. Je crois également que si on arrive à respecter cette règle d’or, alors peut-être enfin aurons-nous un véritable indice du bonheur ».

Dehors, comme me chantant une chanson d’adieu avant l’heure, le vent se mit à froufrouter d’un ton abattu. Tristesse infinie qu’aucun griot n’avait récitée auparavant. C’était peut-être le souffle de celui qui fut enterré sans sépulture, dans un lieu inconnu et dont l’esprit, comme un souffle éternel, plane toujours sur la terre qui l’a vu naître. Il s’appelait Mouammar.

 

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