L’histoire de Tokororo, c’est celle d’un oiseau. Un oiseau libre, tellement libre que la captivité — quelle qu’elle soit, administrative, sentimentale, artistique — l’achève. Normalement, ce genre d’oiseau ne vit pas à Kinshasa. On le trouve à Cuba, sur les drapeaux, dans les récits, dans le souffle chaud de l’île, et il porte ce chant étrange : toco-toco-tocoro-tocoro. Sauf qu’ici, cet oiseau s’appelle Doudou Nganga, il est né à Kin, il a grandi entre la rumeur de la rumba et les murs de l’Académie des Beaux-Arts, et son chant s’est accordé à d’autres timbres, ceux de Papa Wemba et de Ferré Gola, avant de s’envoler.
Car ce petit tocororo kinois a vite senti que les cages n’étaient pas pour lui. Il a pris la cadence du ndombolo, il s’est nourri des bruits de la rue, des harmonies apprises entre un pinceau et un ampli, puis il a quitté Kinshasa pour Valence. L’Espagne n’a pas réussi à l’enfermer non plus : il y a trouvé d’autres oiseaux migrateurs, ceux du jazz, du flamenco, du reggae, et même, paraît-il, l’écho lointain du toco-toco-tocoro original venu de Cuba.
C’est comme ça qu’est né Tokororo, un album qui plane au-dessus des frontières comme si elles n’avaient jamais existé. Un disque façonné par une équipe de musiciens venus d’Espagne, du Sénégal, de Cuba, un disque où la liberté n’est pas un mot mais un muscle qui travaille. On y entend du jazz, de l’afrobeat, de la rumba, de la chanson, des nuances latines et congolaises qui se frôlent et s’amusent à brouiller les étiquettes. Ici, pas de “world music” empaquetée pour touristes : juste des continents qui se parlent, des cultures qui s’embrassent sans protocole.
Et au centre, la voix de Doudou. Lingala, français, douleur retenue et joie qui insiste. “Oniokolanga”, par exemple, transforme la douleur familiale en pulsation. Le niokola ngai répété claque comme un sanglot rythmé, tandis que les guitares syncopent, les cuivres serpentent, et que le sabar d’Ibu Gueye martèle sans pitié. C’est brut, c’est élégant, c’est vrai.
Doudou, diplômé des Beaux-Arts de Kinshasa, installé depuis plus de vingt ans en Espagne, n’a jamais cessé de faire le pont : entre l’Afrique et l’Europe, entre l’intime et le public, entre l’art et la pédagogie. Tokororo condense tout ça. Une métamorphose. Une guérison. Une preuve que la musique reste la seule médecine qui n’a pas besoin d’ordonnance.
Doudou Nganga Tokororo :
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