Si l’on va voir la définition de l’anomie, on peut lire ceci : L’anomie est un concept de poïétique désignant l’état d’un être ou d’une société qui ne reconnaît plus de règles communes. Le terme, popularisé par Émile Durkheim, décrit un moment où les repères foutent le camp, où les valeurs se délitent, et où l’individu, paumé au milieu des ruines, commence à flirter avec la déviance. Voilà une entrée en matière qui ne met pas franchement à l’aise… et quand on sait que le rappeur sud-africain Stogie T a décidé d’appeler son prochain album Anomy, difficile de ne pas s’interroger : Stogie serait-il en train de s’effriter ? De décrocher de ce monde qui ne tourne plus rond ? On pourrait même pousser le trait et titrer cet article : “Stogie T à deux doigts de basculer dans l’anarchisme avec Anomy”… allez ça c’est fait !
Mais avant de l’envoyer consulter, poussons un peu plus loin nos recherches. Car l’anomie, avant Durkheim, c’est aussi un concept défendu par le philosophe Jean-Marie Guyau. Et chez lui, le mot change complètement de goût. Comme le rappelle Jean Duvignaud dans Hérésie et subversion. Essais sur l’anomie, l’anomie n’est pas une décomposition, mais une ouverture : un état qui brise les normes figées pour laisser surgir des formes nouvelles de relations humaines, des sociabilités inédites, et surtout une créativité débridée — dont l’art serait l’expression la plus éclatante. Rien à voir avec la panique morale statistique de Durkheim : l’anomie selon Guyau, c’est un terrain vague où l’on invente.
Nous voilà bien avancés sur l’anomie… mais qu’en est-il de l’Anomy de Stogie T ? Est-ce l’aube d’une créativité affranchie de tout, d’un rappeur qui brise les codes pour mieux s’envoler ? Ou le journal intime d’un type qui ne reconnaît plus le monde et s’en retire à reculons ? À vous de juger !
Ce qui est sûr, c’est que le disque arrive en trombe, un météore fendant le ciel du rap mzansi. Stogie T sonne comme s’il shadowboxait chaque version de lui-même, précision chirurgicale, technique râpeuse, une souplesse linguistique qui ferait pâlir un linguiste. Les flows cognent, les instrus oscillent entre boom bap pur jus, samples soul chauds comme le soleil d’un hiver austral, et synthés tantôt inquiétants, tantôt réconfortants. Et puis il y a cette tracklist… dont on ne peux pas lister tous les guests… en voici quelques uns : Fatoumata Diawara, Maglera Doe Boy, Bokani Dyer, FLVME, Thandiswa Mazwai, et ce fameux featuring Nasty C / A-Reece teasé depuis des mois.
Stogie T lui-même parle d’un album né “d’un rêve différé, d’un rêve tombé, et de la réalisation que ce monde n’est pas notre vrai foyer”. Une fresque d’héritage, de blessures, de beauté et de traces. Une couverture “en fragments”, comme un miroir brisé où le visage humain reste visible, malgré tout.
Et quand sur « Leopold II », il lâche des lignes comme “what’s a diamond in Lingala / brussel sprouts in pink salmon / cut your arms call it stigmata, a king’s ransom to civilise ’em”, on sait qu’on tient un rappeur rare. Un type qui peut te faire googler le nom d’un roi belge génocidaire, relire l’histoire coloniale, et hocher la tête au même moment.
Alors, Anomy, chute ou renaissance ? Chaos ou clairvoyance ?
Peut-être un peu tout ça. Peut-être exactement ce que le hip-hop sud-africain attendait. Peut-être l’album qui, avant même sa sortie, rappelle que le rap, le vrai, est encore capable d’élargir les mondes autant que de les secouer.
Stogie T Anomy :
Si vous avez apprécié le contenu de cet article sur « Anomy », le dernier titre du rappeur sud-africain Stogie T, n’hésitez pas à visiter, et à nous suivre sur nos réseaux et a y réagir, et pourquoi pas même nous encourager d’une petite mention « j’aime ».
