Des cuivres qui crient la révolte, des voix féminines qui redessinent l’afrobeat, des balafons en transe et des grooves qui prennent à la gorge, cette playlist est une traversée des résistances musicales du continent africain. De Dar es Salaam à Soweto, de Bamako à Lagos, chaque morceau est un fragment de mémoire, une onde de choc rythmique qui dit l’amour, l’exil, la lutte, le rêve. Ici, la danse n’est jamais anodine : elle est prière, cri, échappatoire, manifeste.
Qu’ils s’appellent Hugh Masekela, Coumba Sidibé, E.T. Mensah ou les Lijadu Sisters, ces artistes ont fait de leur musique une arme douce, une poésie en mouvement. Ils chantent pour ne pas oublier, ils soufflent pour réveiller. Alors on s’embarque, on ferme les yeux, et on se laisse happer par cette fresque sonore où chaque note est un pas de plus vers la liberté.
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Hugh Masekela « Sarafina! », derrière les grooves l’urgence politique // Afrique du Sud
Avant que « Sarafina! » ne devienne un film culte ou une comédie musicale mondialement acclamée, c’était d’abord une chanson-manifeste, portée par la trompette lumineuse et la voix rageuse de Hugh Masekela. Sortie en 1987, en plein tumulte de la lutte contre l’apartheid, “Sarafina!” est un appel vibrant, une ode à la jeunesse sud-africaine qui, dans les rues de Soweto comme dans les classes barricadées, se dressait contre l’oppression. À travers des cuivres éclatants, des percussions fiévreuses et une énergie presque contagieuse, Masekela célèbre la figure de Sarafina comme symbole de résistance, de courage et de vie, face aux balles, face au silence.
Mais derrière les grooves entraînants et les syncopes joyeuses, il y a une tension sourde, une urgence politique. Le morceau danse, oui, mais il dénonce aussi, il enseigne, il rallie. Dans le souffle de sa trompette, Hugh Masekela emboîte le pas d’une longue lignée de griots modernes, transformant la douleur d’un peuple en mélodie universelle. “Sarafina!” n’est pas qu’un titre, c’est un cri : celui de l’Afrique qui ne se laisse pas enfermer, ni dans des cages, ni dans des clichés. Un classique vibrant, où la musique se fait mémoire et arme d’éveil.
Coumba Sidibé « Mougoukan », l’essence d’un Mali profond // Mali
Avec « Mougoukan », Coumba Sidibé frappe au cœur du répertoire wassoulou et inscrit son nom parmi les grandes voix féminines qui ont su conjuguer tradition et puissance émotionnelle. Sorti dans les années 90, ce morceau incarne l’essence d’un Mali profond, entre incantations mystiques, balafon en transe, lignes de kamalé n’goni, et synthés qui serpentent comme une rivière vivante. La voix de Coumba, à la fois tendre et combative, s’élève dans un souffle ancestral, rendant hommage aux esprits protecteurs, aux femmes, aux liens invisibles qui unissent les vivants et les forces du monde.
« Mougoukan », c’est le cri d’une terre qui palpite sous les pieds, un chant d’alerte et de guérison, où la danse n’est jamais loin de la prière. Coumba Sidibé, pionnière du wassoulou moderne, injecte dans ses mélodies une ferveur militante, une urgence à dire, à chanter, à se rappeler que la musique peut être autant un baume qu’un ferment de résistance. À l’écoute de ce morceau, c’est tout un univers qui s’ouvre — celui des forêts sacrées, des nuits de transe, et des femmes qui chantent pour qu’on n’oublie jamais.
The Lijadu Sisters « Orere-Elejigbo », l’afrobeat n’est pas qu’une affaire d’hommes // Nigeria
Avec « Orere-Elejigbo », les jumelles magiques du Nigeria, The Lijadu Sisters, nous ouvrent les portes d’un Lagos en ébullition, entre highlife électrisé et afrobeat féministe. Sur une rythmique entêtante portée par des guitares funky, des percussions bavardes et des claviers psychédéliques, Taiwo et Kehinde Lijadu chantent à l’unisson avec une énergie solaire. Leur voix, toujours en fusion, planent au-dessus du groove comme un mantra joyeux, racontant les espoirs, les luttes et la beauté du quotidien nigérian. Il y a dans « Orere-Elejigbo » l’écho d’un marché populaire, le bruissement des ruelles, l’appel de la danse qui rassemble.
Sorti dans les années 70, ce morceau culte condense toute la liberté créative de deux artistes trop longtemps restées dans l’ombre de leurs homologues masculins. Inspirées par Fela Kuti mais aussi par Aretha Franklin ou Miriam Makeba, les Lijadu Sisters n’ont jamais hésité à mêler engagement social, spiritualité yoruba et rythmes transcontinentaux. « Orere-Elejigbo » est un chant de fierté et d’appartenance, un feu sacré allumé par deux voix en miroir qui rappellent que l’afrobeat n’est pas qu’une affaire d’hommes, mais un terrain d’insolence, de sueur et de rébellion porté aussi par les femmes.
E.T. Mensah « 205 », le souffle nouveau du king of highlife // Ghana
À l’orée des indépendances africaines, E.T. Mensah faisait déjà danser un continent tout entier. Avec « 205 », le « King of Highlife » ghanéen livre un bijou rutilant, porté par des cuivres éclatants, des riffs de guitare chaloupés et une batterie qui trotte comme un cheval de parade. C’est tout un monde qui s’agite dans ce morceau : celui des bals coloniaux qui se muent en fêtes populaires, des nuits tièdes d’Accra où les couples tourbillonnent, entre élégance british et ivresse panafricaine. 205, c’est une voiture lancée sur les routes de l’histoire, les cheveux au vent et les rêves d’un peuple en plein éveil.
Dans ce morceau l’intention est claire : célébrer le souffle nouveau qui parcourt le Ghana et ses voisins. Plus qu’un simple titre festif, « 205 » incarne l’optimisme féroce d’une génération qui invente son propre futur, à la croisée des traditions locales et des influences afro-cubaines ou jazz venues d’outre-Atlantique. En véritable architecte sonore, E.T. Mensah bâtit des ponts entre les continents et les époques, avec le sourire d’un big band qui sait que l’avenir appartient à ceux qui savent faire danser.
Mlimani Park Orchestra « Kassim Amefilisika », le langage des corps et des coeurs // Tanzanie
À Dar es Salaam, au tournant des années 70, le muziki wa dansi devenait le langage des corps et des cœurs. Avec « Kassim Amefilisika », le Mlimani Park Orchestra — figure emblématique de cette époque dorée — déploie son groove chaloupé, ses guitares qui serpentent et ses lignes de basse qui roulent comme un fleuve patient. Le morceau évoque une Tanzanie en mouvement, où les couples se retrouvent sur les pistes poussiéreuses ou carrelées, entre romance populaire et engagement discret. Les voix s’y élèvent comme des confidences, portées par des cuivres moelleux et une pulsation qui semble ne jamais vouloir s’arrêter.
Sous ses airs dansants, « Kassim Amefilisika » cache aussi la mélancolie d’un amour perdu ou d’un destin contrarié. La rumba y rencontre le soukous, le swahili épouse des harmonies venues de Kinshasa ou de La Havane, et tout cela se fond dans une esthétique subtilement tanzanienne, raffinée et enracinée. Plus qu’un groupe, le Mlimani Park était une école de rigueur musicale, un artisanat collectif où chaque solo, chaque riff, chaque silence avait son poids. Et ce morceau en est la parfaite illustration : un équilibre rare entre nostalgie et ivresse de vivre, entre la plainte et la fête.
Djolo – La Classique :
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