Cette édition de La Classique fait voler en éclats les musées poussiéreux et les vinyles fétichisés : entre highlife frondeur, taarab ensorcelé, protest songs en boubou et jazz d’alerte, voici cinq morceaux qui n’ont rien d’intemporel — ils sont brûlants, vivants, indomptables. Une leçon d’élégance politique signée Mali, Guinée, Ghana, Afrique du Sud et Tanzanie. Et tout ça c’est all for you !
Et retrouvez les anciens épisodes de La Classique ici !
L’Orchestre National “A” de la République du Mali « Janfa, une protest song en boubou // Mali
L’Orchestre National “A” de la République du Mali ne chantait pas pour plaire, encore moins pour streamer : il chantait pour dire. Et dans “Janfa”, l’un de leurs titres phares, ce verbe prend des allures de gifle polie. Entre riffs de guitare sèche qui claquent comme des vérités, section rythmique en embuscade et chœurs solennels, le morceau déploie toute la classe d’un Mali post-indépendance qui, au lieu de pleurnicher sur ses plaies coloniales, les transforme en élégance sonore. “Janfa” — littéralement la trahison — parle d’honneur, de loyauté, et de ceux qui les vendent pour trois bouchées de pouvoir. Pas besoin de vocoder ou d’auto-tune ici : la voix humaine suffit à faire trembler les murs. Et si tu tends bien l’oreille, tu comprendras que cette musique n’a rien d’un vestige nostalgique — c’est une archive vivante, une protest song en boubou, une leçon d’intégrité qu’on ferait bien de réécouter… en boucle.
Syli Authentic « Fabara », tisser une matière résolument guinéenne // Guinée
Sorti en 1976, dans une jeune Guinée qui se débat encore avec les affres de la colonisation et le nouveau poison de la Françafrique, “Fabara” du Syli Authentic ne s’écoute pas : il se respecte. Car derrière ses grooves chaloupés, ses guitares frémissantes et ses cuivres qui tracent des arabesques dans l’air sec de Conakry, il y a plus qu’un simple tube afro — il y a un manifeste. “Fabara”, c’est le genre de morceau qui te fait danser sans que tu t’en rendes compte, et réfléchir une fois que t’es essoufflé. Le Syli Authentic, groupe formé sous l’égide du régime de Sékou Touré, joue ici avec un sens du panache qui n’a rien à envier aux grands orchestres maliens ou ghanéens de l’époque. Mais au lieu de singer l’Occident ou de singer qui singe l’Occident, ils tissent une matière sonore résolument guinéenne, où chaque note pèse son poids d’histoire. “Fabara” ne cherche pas à séduire les diggers hipsters de Bandcamp : il parle à celles et ceux qui savent que la musique populaire peut être fière, politique, et sacrément bien arrangée.
E.T. Mensah & The Tempoes « All For you », une lettre d’amour écrite en highlife // Ghana
Sorti en 1957, “All For You” d’E.T. Mensah & The Tempoes, c’est un peu comme une lettre d’amour écrite en highlife — élégante, dansante, et jamais complètement naïve. Derrière ses airs de slow tropical pour salon colonial, le morceau distille un charme retors : les cuivres qui chaloupent, les harmonies vocales qui s’enroulent comme un pagne bien repassé, et cette basse qui promène l’auditeur entre Accra et Londres, en passant par les Caraïbes. E.T. Mensah, le « King of Highlife », ne faisait pas que faire swinguer la jeunesse ouest-africaine : il codait dans ses mélodies une forme de revanche douce-amère, une manière de montrer aux colons que l’élégance, on savait faire aussi. “All For You” n’est pas seulement une chanson d’amour — c’est un exercice de style, un morceau qui brille sans forcer, et qui continue, des décennies plus tard, à faire claquer les doigts des puristes.
Dorothy Masuka « Khauleza », derrière la ritournelle jazzy, l’urgence // Zimbabwe, Afrique du Sud
Sorti à la fin des années 50, “Khauleza” de Dorothy Masuka est un cri d’alerte déguisé en berceuse. D’un souffle doux mais intransigeant, la chanteuse zimbabwéenne d’origine sud-africaine lance un “vite, cache-toi” aux domestiques noires traquées dans les maisons blanches de l’apartheid. Sous ses apparences de petite ritournelle jazzy, le morceau planque une urgence, une tension sourde — celle du regard dans le dos, de la porte qui claque, du pas de trop. Masuka n’en fait pas des tonnes, elle dit juste ce qu’il faut, là où ça fait mal, avec un swing presque moqueur. “Khauleza” n’est pas un simple témoignage, c’est une chanson qui dérange par sa douceur : un piège poli, tendu au pouvoir, où l’oppression se glisse sans bruit dans chaque note.
Bi Kidude « Alaminadura », la doyenne du taarab tord le cou à la bienséance // Tanzanie
À près de 90 balais, la doyenne du taarab tordait le cou à la bienséance, fume ses clopes, crache ses vérités, et balançait cette ode rugueuse et poétique comme on envoie un sort. Le morceau serpente entre oud entêtant, violons haletants et percussions qui claquent comme des réprimandes, pendant que la voix rocailleuse de Bi Kidude traverse les siècles et les conventions sans jamais demander la permission. “Alaminadura” n’est pas juste une chanson : c’est un coup de canne dans les tibias de l’ordre établi, une transe féminine et féline qui dit merde à la politesse coloniale et aux pudibonds de tout poil.
Djolo – La Classique :
Et retrouvez les anciens épisodes de La Classique ici !
Si vous avez apprécié le contenu de cet article sur notre playlist La Classique n’hésitez pas à visiter, et à nous suivre sur nos réseaux et a y réagir, et pourquoi pas même nous encourager d’une petite mention « j’aime ».
