Au début, quand on se lance dans la longue Face A du disque Anomaly Index que Nkisi vient de sortir chez Nyege Nyege Tapes, on peut rester perplexe, presque idiot devant un mur blanc de grésil et de crépitements… Et puis… il y a comme un rythme qui s’en échappe, cyclique, circulaire même, un mouvement sourd, celui des premiers cylindres en bakélite des phonographes. Et puis… il y a des sons, des bruits, des voix captives qui émergent de la brume, souvent presque imperceptibles. Des spectres d’époques révolues, avalées par la colonisation, le vent, l’oubli, les ethnographes trop pressés ou trop sûrs d’eux.
Avec Anomaly Index, la DJ londonienne d’origine congolaise ne joue pas à l’archiviste appliquée. Elle ouvre une brèche. Elle retourne les cylindres, ceux 1905, ceux 1908, ceux du Cameroun, ceux de Papouasie Nouvelle Guinée, comme des talismans fissurés, elle écoute non pas ce qu’ils voulaient enregistrer, mais ce qu’ils n’ont jamais réussi à cacher : l’erreur, le bruit, l’accident. Le paracoustique, ce territoire où l’intention explose et où la matière sonore se révèle plus libre que son époque.
Side A, c’est la séance de spiritisme. Le souffle, les effritements, les effondrements deviennent rythmes, textures, pulsations involontaires. C’est peut-être la musique industrielle avant la musique industrielle. C’est sûrement le futurisme avant qu’il soit afro, avant même que quelqu’un en invente le mot.
Side B, elle, remet un peu d’ordre, si l’on peut appeler “ordre” un battement club pris dans une tempête de poussières coloniales et de voix trop vieilles pour être identifiées. Nkisi introduit des percussions, des sonorités électroniques minimalistes, quelques illusions de groove, comme si elle lisait un futur possible dans des cendres anciennes. Là, soudain, un motif revient, obsédant, trois minutes avant la fin. Un secret, un souvenir, un écho. Le genre d’instant où l’on se dit que ces cylindres n’ont jamais été des archives. Ce sont des portails.
Anomaly Index n’est pas un disque. C’est une contradiction vivante. Art avec un A majuscule, mais aussi un doigt levé vers les hiérarchies académiques ; une techno-séance ; une rencontre entre accidents passés et possibles futurs, entre esprits piégés dans la cire et machines qui refusent d’être domestiquées. Nkisi nous rappelle que le son a toujours débordé du cadre, et que les fantômes, eux, n’ont jamais cessé d’exister.
Nkisi Anomaly Index :
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