Ambiance d’Hammamet : Ad Libitum, la partition de Taoufik Jebali

Avec la crise du COVID, cela faisait bien longtemps que les portes du Festival International de Hammamet, FIH pour les intimes, étaient restées closes, mais ce mercredi 13 juillet, à 22h, après deux ans d’absence, et un peu d’huile pour les gonds, elles se sont rouvertes ! L’ouverture de cette 56ème édition du festival a été confiée à Taoufik Jebali. Le dramaturge tunisien, accompagné de sa troupe de El Teatro Studio, a présenté une création conçue expressément pour le festival, Ad Libitum.

Et le public tunisien a répondu présent à cette invitation ! Sous le regard maladroit d’une lune d’une blancheur d’or, trop pleine, trop grosse, pour se fondre dans le cercle des projecteurs, les spectateurs se sont déversés dans les escaliers desservant le théâtre pas si antique d’Hammamet. Polo violet, jasmin derrière l’oreille, tatouage qui se découvre derrière une bretelle de débardeur, costumes de lin, beige ou blanc, robes de soirée, élégantes ou curieuses, cheveux bouclés, tête voilés… l’arc de cercle du théâtre s’habille de mille couleurs et de mille motifs. Les éventails s’agitent, les fronts se tachent de sueurs, faut dire que la soirée, si elle est plus fraîche que les jours précédents, reste humide. Moment étrange de flottement dans l’allégresse légère de ce début de soirée, un cortège d’hommes en costume sombre et cravate fend la foule… la ministre de la Culture a fait le déplacement et, entouré des officiels de la région, prend place sur une rangée qu’on lui a réservée au-devant du théâtre, il ne faudra pas longtemps pour que les huées commencent à détoner de plusieurs endroits des gradins, avant de l’emporter à l’unanimité, signe du climat tendu qui règne en Tunisie entre le peuple et ses dirigeants. Heureusement pour la ministre, les lumières s’éteignent, et le spectacle commence !

Enfin…, heureusement, peut-être pas… Le spectacle commence par la plus évidente des muqqadima (introduction) faites par une femme de ménage. Puis, les tableaux se succèdent… clowns affrontant des ombres, à défaut de moulins, musiciens aveugles, mariage fantomatique, crise de foi, comédie musicale, clown à nouveau, et orchestres chancelants. Taoufik Jebali, à grand renfort de musique, dépeint la Tunisie, sa Tunisie, celle qui vacille, fonce, s’égare, celle qui se préoccupe des mariages plus que des votes, celles qui va à la mosquée avec la gueule de bois, celle qui rêve aux ḥūrīyāt parfaites qui les attendent au paradis, en ignorant les femmes qui tiennent le pays (et là on ne parle pas forcément de la ministre, mais plutôt de femme comme Zeyneb Farhat, défunte épouse de l’auteur, et activiste tant culturelle que politique, dont l’esprit plane sur l’œuvre qu’elle a en partie inspirée), oui, religion, politique, homosexualité, patriarcat… rien n’échappe à la plume de Taoufik Jebali. Le peuple tunisien se retrouve ici mis à nu dans tous ses travers, mais, puisqu’il a le sens de l’humour et de l’autodérision, alors, la musique des mots se mêle à celle des instruments, et aux rires, détonants, hilares, contenus, explosifs, pincés, gras et sonores, qui ne manquent pas de retentir tout du long de la soirée, une musique de mots, qui parfois se font aussi graves, émouvants, et qui s’envolent dans le ciel hammametois en allant scintiller sur les facettes de la mer qui borde le théâtre, avant d’aller se perdre dans le vert sablonneux de cette nuit d’été.

Première soirée réussite pour les écueils très tunisiens de ce Ad Libitum de Taoufik Jebali, qui continue de résonner, sur les gradins maintenant vides du théâtre, et peut-être aussi dans la tête de la ministre qui en a pris pour son grade ce soir. Première soirée réussite aussi pour le FIH, qui reprend ce soir sa place singulière dans le grand jeu des festivals d’été.

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