L’entretien : Discussion avec Dendri sur le stambeli et la scène musicale tunisienne

On a été reçu par le groupe Dendri dans leur superbe résidence artistique à Dar Eyquem, une sublime villa cachée dans un luxuriant jardin bordant la plage, dans lequel on s’enfonce dans l’obscurité et la fraicheur de la nuit. On quitte Hammamet et la ferveur des festivités d’une première nuit de ramadan que la pluie a rendus timides, pour pénétrer dans l’univers de Dendri, guidé autant par les lumières presque lointaines de la maison, et les éclats de rire, que par les parfums nocturnes du jardin, où l’humidité fraiche de la pluie vient ponctuer les teintes végétales.

Avant de commencer notre entretien qui devrait tourner autour de la scène musicale tunisienne et de la musique stambeli — une tradition musicale tunisienne et africaine ancienne héritée des descendants d’esclaves noirs, qui s’inscrit dans la lignée du gnawa marocain, ou du diwan algérien — on laisse les sept membres du groupe (Mohamed Khachneoui : Batterie et chant, Salah Yenna : Gombri, gambra et chant, Bellassan Mihoub : Chkachak et chant, Hassan Mchaikhi : Chkachak et chant, Sahbi Ben Moustfa : Guitare basse, Aymen Ben Attia : Guitare, Wajdi Riahi : Clavier), finir leur répétition.

Portés par les voix reprenant en chœur les lancinantes incantations de Salah, les musiciens se laissent aller à leur art dans une ambiance de transe, sous le regard de l’ingénieur du son allemand Christoph Thiers, qui avec ses longs cheveux blonds et sa barbe aux reflets roux, ressemble à un Viking stoïque. Le son tourbillonne et s’envole sous les voutes du joli salon arabe, dépassant la frénésie des chkachak, avant de retomber presque brutalement sur ce qui semblerait paraitre un silence tellement le fracas des percussions était intense, mais non, une boucle se mets en place, le guembri tourne autour de la basse dans une danse lascive et entêtante. Pour peu, l’on se croirait à Pompéi avec les Pink Floyd, mais les ruines les plus proches ne sont pas celle de la cité éteinte, mais celle d’une Carthage, qui pénètre tel le fer-de-lance de l’Afrique dans une Méditerranée que l’on voudrait seulement voir partagée entre occident et orient.

 

L’entretien :

Farah : Mohamed, c’est toi l’instigateur du projet Dendri… pourquoi le stambeli ?

Mohamed : Oui effectivement c’est moi qui suis à l’origine de ce projet, et le choix du stambelli s’est fait… naturellement, par passion. J’ai étudié à l’institut de musique du Kef, avec M. Lamjed Rhaïem, qui nous a fait écouter du stambeli, en 2e année. J’avais déjà une idée sur ce genre de musique, mais je ne la connaissais pas bien, vu que je suis de Sidi Bouzid (dans le centre ouest de la Tunisie). Nous avons écouté Sidi Bouras de feu Mr Hafedh… j’ai tout de suite été happé par cette musique. Je lui ai demandé si c’était des Tunisiens, et comment on pouvait s’y initier ! Peu de temps après, j’ai fait part à mon professeur que mon projet de mémoire se porterait sur le stambeli.

L’été juste après ma deuxième année, j’ai contacté les spécialistes du stambeli que sont Salah el Ouargli et Bellassan Mihoub. Ils m’ont invité là où Salah se produisait (la châabania), et on est devenu potes dès la première soirée, et chaque fois que j’allais à Tunis on se rencontrait.

Ça a commencé comme ça, et au fur et à mesure, j’ai commencé à jouer du gombri avec Salah, et des chkachak avec Bellassan. Je commençais à entrer dans le monde restreint du stambeli. J’ai du coup fini mon mémoire de maitrise en travaillant sur les rythmiques du stambeli, et les spécificités rythmiques des chkachak en Tunisie. Après pour le master, j’ai approfondi mes recherches sur les spécificités mélodiques et rythmiques du gombri.

Fort de cette formation et de cette compréhension des rythmes du stambeli, jouer de la batterie au sein d’un groupe de stambeli m’a paru naturel !

Avec Salah et Bellassan, nous avons commencé par jouer vite fait, en jam-session au festival Jazz à Carthage, puis au Wax bar (bar culturel de Tunis). Ensuite Sahbi, mon frère et ami bassiste avec qui j’ai l’habitude de jouer nous a rejoint, puis j’ai rencontré Aymen.

Aymen (l’interrompant) : très bonne rencontre !

(éclats de rire)

Mohamed : Il y a un noyau qui s’est formé. Aymen est quelqu’un qui m’encourage et qui me pousse quand il y a des petits moments de flottements. Puis on suivit Wajdi (le pianiste), et Hassen (au chkachak). L’entente a été naturelle entre nous, on se motive tous, on s’entraide… on est un mouvement.

Farah : Et toi Salah, qui est un genre de gardien de la tradition du stambeli, ce n’était pas trop difficile de la retravailler, de la moderniser ?

Salah : Je vis de la musique depuis mon enfance, grâce au gombri et au stambeli, et cette musique doit être accessible. J’avais déjà une idée sur ce qu’est de jouer avec des instruments modernes. J’ai joué avec des sitars, des koras, ou avec des groupes de fusion… c’est le mélange qui rend la musique accessible et universelle. L’idée du projet est belle et moderne, et j’espère que notre musique sera écoutée en Tunisie et ailleurs.

Mohamed : Nous n’avons pas touché à la rythmique. Nous jouons avec lui dans les rythmes du stambeli, avec nos instruments.

Farah : La musique stambeli, et la culture qui la porte, est assez méconnue en Tunisie, est-ce à cause du racisme ? S’est-elle protégée en s’enfermant dans un microcosme ?

Mohamed : Oui, entre autres, mais c’est surtout que se sont des personnes dont la musique vit au quotidien, tout le monde, toutes les familles, jouent du gombri, des chkachak, chantent, apprennent les noubas… c’est tellement naturel pour eux, c’est leur vie.

Farah : Est-ce que suite aux enregistrements faits par Christoph, et puisque le stambeli est une musique qui se transmet normalement à l’oral, vous vous sentez comme les protecteurs d’un héritage qui est en train de se perdre ?

Aymen : Je ne suis pas comme Salah, ou Mohamed, qui vivent dans le milieu stambeli, qui sont nourri avec cette musique. De ma part, comme avec Wajdi, ou pour des musiciens confirmés, c’est une musique difficile techniquement… elle nous… tord ! (rires) C’est une musique spécifique. Ca c’est vu avec les musiciens qui ont voulu travailler sur du stambeli, mais qui sont resté dans la superficialité, dans l’édulcoré. Ils ne se sont pas aventurés dans une recherche plus approfondie… les clichés de la musique folklorique étaient très présents.

Mohamed : Dans l’imaginaire des Tunisiens, la musique populaire est banale, pauvre. Puisqu’elle est différente de ce qu’ils ont l’habitude d’écouter, et qu’ils n’en ont pas forcément les clés, ils partent avec des préjugés et un sentiment de supériorité envers ces musiques. Alors que quand on l’étudie un peu, l’on se rend compte de la richesse de ses normes esthétiques et techniques.

Aymen : La plupart des auditeurs se comportent comme des touristes envers leurs propres musiques traditionnelles, aussi larges et variées soient elles !

L’image contient peut-être : 1 personne, sur scène et intérieur

Farah : Pensez-vous qu’avec votre projet le stambelli sera accessible à un public plus large ?

Salah : Je suis sûr qu’elle sortira de sa coquille, et que le projet permettra de faire connaitre le vrai stambeli, comme avec le festival gnawa à Essaouira, au Maroc, ou le festival de la musique diwan en Algérie… Avec le temps, je l’espère.

Farah : Pourquoi est-ce que le stambeli n’est pas mis en valeur en Tunisie, comme le gnawa au Maroc ?

Aymen : On a été orientalisé, et arabisé dans les années postcoloniales. Et il y a des dirigeants qui ont décidé, suite au Congrès de Musique Arabe tenu au Caire en 1932, qu’il n’y aura qu’un seul modèle de musique mis en valeur.

Mohamed (ponctuant) : L’uniformisation arabe ! La culture unique ! Les autres n’existent plus.

Aymen : On est en train de retourner à des cultures qui ont été volontairement effacées. Je parle de mon expérience, je viens de la musique rock, jazz, et classique, et mon premier regard envers le stambeli a été la curiosité. Je cherche vraiment les racines de cette culture. Je ne comprends pas pourquoi on nous impose une seule musique orientale… Je veux écouter du mezoued aux mariages, de la Tabla à Djerba, avec les stajemâa, et les spécificités de chaque région, de chaque ville !

Mohamed : De quel droit impose-t-on un seul modèle musical !

(rires)

Aymen : Le problème c’est la présentation, voilà pourquoi au Maroc ce n’est pas la même chose. Ici, la musique stambeli n’est pas mise en valeur comme il se doit, et si ça passe à la télé, ça sera dans un cadre minable, dans une émission médiocre !

Mohamed : C’est aussi politique. Depuis Bourguiba, on a éradiqué les zwi, le culte des marabouts (saints de l’Islam). Et comme le marabout avait une place importante au sein de la communauté, ou d’une tribu, il en a découlé une éradication de la musique sacrée, spirituelle : soufie, alaoui, qadriya, ou stambeli. Il a interdit que ça passe à la radio et à la télé. Il y a même un ethnomusicologue français qui enseignait alors à la fac de la Manouba, et qui organisait une fois par semaine un concert de stambeli, de mezoued, ou d’alaouia… qui a été menacé par l’état, puis expulsé. C’est une chaine d’uniformisation qui a été mise en marche… Et franchement, je suis triste. On a été fracturé en deux grands pôles en faites, des musiciens occidentaux, et des musiciens orientaux.

Wajdi : C’est parceque’on a coupé tout lien avec l’Afrique subsaharienne. Quand j’ai été la première fois de ma vie en Afrique noire, je me suis rendu compte qu’on n’a plus aucun lien avec ces pays. Les musiciens, on les envoie en stage au Liban, ou en Égypte, alors qu’ils pourraient apprendre aussi bien dans d’autres pays africains.

Mohamed (acquiesçant) : Nous avons été ensemble en Cote d’Ivoire et au Sénégal.

Wajdi : Si l’occasion se propose, j’y retournerais sans hésitation. J’ai beaucoup appris de ce séjour.

Mohamed : il y a aussi une question de frontières, elles ont segmenté, et empêché l’accès à d’autres sources musicales. Le Maroc est la source même de la musique soufie : alaoui, qadriya, zawiya… Au Maroc, il y a une volonté politique de protéger le patrimoine culturel, musical, gastronomique…

Aymen : J’ai été choqué d’apprendre que le Baron d’Erlanger a une collection énorme d’enregistrements et de dessins, d’objets et d’instruments de toute la Tunisie, que l’État ne possède pas, ou plutôt ne protège pas. Je pense que c’est historique en faite, ça a commencé avec les Beys, puis avec les Français, puis Bourguiba, puis Ben Ali… ça mène à un gros problème identitaire. Qui sommes-nous ? Qu’est ce que nous voulons devenir ? Où voulons-nous aller ? Et c’est maintenant que la question se pose vraiment. Il faut que nous cherchions notre identité, sans qu’on nous l’impose de l’extérieur. Et avec la musique, la diversité et la richesse musicale, nous pourrons raconter notre histoire.

Farah : Quel est votre regard sur la scène musicale africaine ?

Mohamed : C’est une école orale qui est complètement différente de l’école européenne écrite. C’est une école ou il y a plus d’aventure et de recherche, surtout sur les codes sociaux, et culturels, elle est en perpétuel mouvement. C’est une manière de penser différente, une manière de percevoir la musique différente, avec des codes et des règles très bien définis.

Aymen : Heureusement qu’il y a internet, c’est un outil extra de découverte, mais il faut avoir la curiosité et les clés pour pouvoir analyser et comprendre ce que tu regardes, ou écoutes.

Farah : Quels sont les problèmes auxquels vous vous êtes confrontés avec Dendri, le financement par exemple ?

Mohamed : Le souci majeur reste le ministère de la Culture. C’est toujours les mêmes artistes qui touchent les subventions, et les mêmes artistes que l’on voit dans le paysage audiovisuel. Du coup c’est un danger parce que notre patrimoine musical diversifié est en train de disparaitre sans laisser aucune trace, et le ministère de la Culture ne fait aucun effort, et ne soutient pas les artistes qui s’y intéressent. Les seules traces de notre patrimoine sont celles recueillies par des Français, ou des Anglais… c’est effrayant je trouve.

Salah : Un Anglais a édité un livre sur le stambeli en Tunisie, au début du XXe siècle. Il est venu du Niger, en passant par le Tchad, et la Libye, il a entendu parler d’une communauté noire tunisienne qui chantait du stambeli. Il a travaillé sur le bori (la culture et croyance du stambeli) et sur les descendants des haoussas (ethnie d’Afrique de l’Ouest) en Tunisie. Aussi, il y a eu un professeur américain, Richard C. Jankowsky, il enseigne à l’université de Chicago. Il a passé presque dix ans en Tunisie, et a noué une amitié avec feu Mejid, mon maitre. Il a écrit sur la maison Borno, et m’a enregistré avec Am Mejid avant son décès. Des CD et un livre sur le stambeli ont vu le jour. Un Français aussi s’y intéresse et a fait des enregistrements, dont deux que j’ai présenté à Essaouira. Malheureusement, aucun n’a été fait par la Tunisie…

Farah (s’adressant à Salah) : Comment se passe la transmission musicale dans votre famille ? Comment vos parents vous parlent de vos origines ?

Salah : Dans ma famille, il y a des Sahraouis touaregs, et des subsahariens. À Tunis, près du souk, à côté de la maison de mes grands-parents se trouvait la maison Barnou (prononcé aussi Borno, est le siège d’une des dernières confréries stambeli du pays). Petit, j’ai vécu entre la maison familiale et nos voisins de la maison Barnou. Et c’est comme ça que j’ai grandi dans le monde du stambeli. J’ai appris des grands maitres, je faisais des représentations avec eux… c’est comme ça que je suis là maintenant, et que je suis devenu Yenna (maitre du gombri).

Farah : Y’avait-il des femmes qui chantaient ?

Salah : Oui, les vieilles femmes chantaient, et connaissaient toutes les paroles et les chansons.

Mohamed : Il y avait les formations de Dabdabou, uniquement avec des femmes. Elles chantaient à Sidi Saâd, et Sidi Ali Lasmar (deux marabouts dans la médina de Tunis). C’est une formation de percussion avec 3 ou 4 noubas (les noubas sont des compositions musicales structurées, que l’on pourrait comparer aux maqams orientaux, ou aux mouvements de la musique classique).

Farah : Comment s’est faite la résidence ? Et la rencontre avec le Goethe Institute ?

Aymen : C’est une histoire marrante en faite ! Lors de la soirée de mon mariage, tous mes potes musiciens étaient conviés, donc le problème du groupe qui joue pour les invités était résolu.

(rires)

Avec ma femme qui est musicienne, et qui adore la musique africaine, on s’est mis d’accord pour que la soirée se fasse au rythme du stambeli. Une amie à nous qui travaille avec le Goethe Institute était du mariage, et nous a vu jouer. Elle a été conquise ! Quelques jours après, elle m’a appelé, et informé que le Goethe Institue lançait un appel à projets. Et que sa directrice était à fond derrière Dendri !

On a commencé à préciser les buts de ce projet : un enregistrement… non, trop tôt. Le premier objectif à atteindre était de faire une résidence artistique dont le fruit serait un grand concert, dans les normes internationales. Pour travailler sur la qualité du son, il nous fallait l’aide d’un professionnel, c’est ainsi que Christoph Thiers nous a rejoints pour nos deux résidences à Dar Eyquem. Et je n’ai jamais vu un professionnalisme et un tel sérieux dans le travail, qu’avec les Allemands !

Mais je veux revenir sur le ministère de la Culture… Je suis peut-être le plus amer du groupe.

(rire)

Il y a un projet qui est en train de se mettre en place et qui est dangereux. Une partie de l’argent du contribuable va au ministère de la Culture, et c’est qu’une poignée de personnes établis en comité qui décide de manière obscure qui seront les bénéficiaires des subventions… et ne parlons pas du gout et du niveau médiocre qu’ils défendent. Le comble du comble, il y a un mec qui s’est auto-subventionné, il faisait partie de la commission de répartition des financements de projets, ils se sont concertés, et ils ont jugés qu’il méritait de recevoir une subvention de 90 000 dinars.

(éclats de rire général)

Le pire s’est fait récemment avec la fameuse Cité de la Culture, que j’appelle la Boule de la Culture (référence à l’architecture singulière du lieu), la monopolisation de la culture. Garder, et retourner l’argent dédié à la culture, et ne l’attribuer que pour la cité de la culture. Il y a une volonté du ministre pour que cet espace bénéficie de tous les avantages possibles. Et pour cela le ministère grignote sur les financements des festivals comme Hammamet, ou du théâtre… et il les réinjecte dans les fonds de la Cité de la Culture, où seulement une ou deux personnes décident de ce qui se fera ou non… Il y a un gaspillage énorme, et d’ailleurs on le voit bien avec la Cité, rien que la cérémonie d’ouverture a couté près de 400 000 dinars… avec cet argent j’aurais pu ouvrir un institut spécialisé dans le son avec tout l’équipement et les professionnels qui vont avec… ça me mets hors de moi ce gaspillage.

Mohamed : Aucune vision sur le long terme en Tunisie n’est prônée… surtout qu’ils n’ont même pas la capacité de le faire. Ils occupent des postes qui dépassent leurs compétences, et leurs capacités de décisions et d’actions. Alors qu’il y a des personnes aptes, avec des projets et des compétences, sans ambitions politiques ou hiérarchiques, qui ont été éjectées par le Ministère, comme Moez Mrabet qui dirigeait le festival de Hammamet. Dix personnes comme lui, jeunes et motivées, avec une vision, feraient un bien fou à la Tunisie.

Aymen : Une personne avec des principes, travailleuse, et juste n’a pas sa place au ministère de la Culture. Soit elle rentre dans le mic-mac, soit elle est éjectée.

Farah : y a-t-il des projets d’album, suite à ses deux résidences ?

Mohamed : On en parle souvent entre nous ! Mais on n’a pas beaucoup d’opportunités, ou alors il faut qu’on rentre dans le système.

Aymen : Je vais préciser le terme « système », ça veut dire le monopole du ministère de la Culture sur tous les festivals et centres culturels. Et, au-delà de ça, c’est aussi le monopole du ministère sur les institutions privées. Tout doit passer par une commission du ministère, qui décide pour le privé comme pour l’étatique… autrement dit, c’est une commission de censure !

Wajdi : Premièrement, déjà pour l’album c’est difficile, il n’y a aucun studio d’enregistrement en Tunisie qui est capable d’enregistrer des sessions live, et aucun n’a un vrai piano. Deuxièmement pour les concerts, on rentre dans l’éternel problème déjà cité avant, et on a peur que notre projet qui porte un message fort sur l’identité et la diversité musicale tunisienne ne soit pris entre les mains du ministère de la Culture et complètement enterré, ou manipulé. Et si on se libère complètement de tout ça… on sera pénalisé parce que les scènes et les festivals les plus importants sont étatiques. On est coincé.

Farah : Alors, que faut-il faire maintenant pour produire et enregistrer un album en Tunisie ?

Mohamed et Aymen (simultanément) : Il faut enregistrer à l’étranger malheureusement !

Mohamed : Ou que Aymen se marie une seconde fois

(rire général)

Aymen : Ce qui peut contrer tout ça et qui est positif, c’est les associations et les ONG, ainsi que le mécénat de fondations, qui bougent et qui financent. Ce genre de financements aide à la création sans jugement de valeurs pour les projets.

Farah : Est-ce que vous pensez à apprendre le stambeli à des enfants, à leur faire connaître cette musique et la culture qui la porte ?

Mohamed : Dans mon collège en septième année (l’équivalent de la cinquième), un jeudi, je m’en souviens encore parfaitement, j’ai pris mon premier cours de musique ! Le professeur nous a demandé d’acheter un cahier de partitions. La semaine d’après, tout excité de commencer les cours… le professeur a disparu, et n’est plus jamais revenu.

(Il continue triste)

J’ai vécu une grande déception et une grande injustice, l’état n’était pas capable d’assurer des cours de musique ou de théâtre aux élèves.

Wajdi : La transmission, c’est le plus important.

Aymen : Il faut qu’on soit plus visible, et heureusement qu’il y a internet. On essaie avec notre projet d’être le plus présent possible, jouer, et influencer même d’autres artistes, de partager, et surtout donner cette étincelle à ceux qui écouterait du stambeli.

Farah : Comment sauver le stambeli de l’oubli ?

Mohamed : Il faut faire le premier pas en allant vers les familles qui jouent le stambeli depuis des décennies. Et surtout les considérer comme des artistes à part entière. Salah est un artiste confirmé, dont l’école était la musique, dont la vie est musique.

Wajdi : L’état devrait préserver, et honorer des artistes comme Salah, qui portent un héritage vivant de la culture tunisienne. C’est notre valeur ajoutée !

Farah : Comment faire pour sortir le stambeli du milieu culturel tunisois, où il se trouve ?

Aymen : Où que l’on aille, avec les quelques concerts qu’on a donnés, il y a toujours eu autour une effervescence extraordinaire ! Le public qui vient est très réceptif à notre musique… c’est une musique accessible et populaire qui transcende l’auditeur. Nous devons jouer le plus possible. Nous avons donné tellement de notre temps, et de notre énergie que nous ne pouvons plus reculer. Nous avons l’ambition de faire connaitre Dendri, et le stambeli partout, y compris hors des frontières nationales.

Farah : Qu’est ce qu’on peut vous souhaiter ?

Salah : Continuer jusqu’au bout notre projet, et arriver à nos buts. Inch Allah !

Mohamed : On est positif, on s’entraide, on se supporte mutuellement, et on est sur une bonne lancée pour l’instant.

Aymen : Souhaitez-nous plus de temps pour travailler, pour porter notre projet jusqu’au bout, et surtout de bonnes conditions de travail !

(rires)

 

Interview menée par Farah Ben Slimane

 

Pour aller plus loin :

 

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