Ambiance d’Hammamet : Ziad Rahbani, l’homme qui voit la musique en image

Après l’arrêt total de tous les festivals d’été, et de toutes les manifestations culturelles en Tunisie, suite au décès du chef de l’État, Beji Caid Essebsi — que la terre lui soit légère — et les sept jours de deuil national décrétés, le Festival International d’Hammamet a rouvert ses portes pour deux soirées plutôt exceptionnelles, vendredi 2 et samedi 3. Oui, exceptionnel, c’est bien le mot ! Et en deux mots, on peut dire Ziad Rahbani ! Le maestro libanais qui, ces dernières années, s’est fait plutôt rare sur scène comme en studio — artiste capricieux, il a même refusé dernièrement de se produire au prestigieux festival Mawazine de Rabat — est venu, par amitié, offrir deux dates uniques à la Tunisie. Nous allons tacher dans ces lignes de vous retranscrire l’ambiance de ces deux concerts, et il important de vous prévenir que nous allons ici mélanger des éléments des deux soirées, alors, si vous avez eu la chance de vous rendre à l’une des deux prestations, et que vous ne reconnaissez pas certains passages décrits ici — comme ce moment, où cet homme transi par l’émotion a arraché sa chemise, retiré son pantalon, et a dansé sur scène — c’est que ça c’est passé dans l’autre soirée, ou que l’on ment… ce qui est, pour l’homme nu sur scène, pas exclu !

Dans une chaleur étouffante, tropicale même, sous une nuit qui a choisi d’écraser la petite cité balnéaire d’Hammamet du même noir d’encre que la mer sur laquelle file encore au loin quelques petites vedettes de la garde nationale, ou quelques pécheurs nocturnes, Ziad Rahbani, précédé de son orchestre, a fait son entrée sur la scène du théâtre d’Hammamet sous les clameurs et les applaudissements d’une foule qui peinait à se séparer de ses indispensables éventails, ou plutôt marahwa pour la version tunisienne de la chose. De droite à gauche, sens de lecture arabe oblige, une section cuivre bien étoffée, avec trombones, saxophones, trompettes, et autres clarinettes, bien installés au centre de la scène un oud et un bouzouki, au fond un duo percussion-batterie, puis un guitariste assis, et un bassiste debout devant un énorme ampli, le tout sous le regard impassible de Ziad Rahbani qui, devant son piano à queue, ferme la scène à droite ; les colonnades de pierres teintées par des lumières roses, celles vertes qui se perdent dans le feuillage du plus fidèle spectateur du Festival, l’imposant eucalyptus centenaire qui borde le théâtre. Le décor est planté, place à la musique.

Dans un spectacle présenté en deux parties séparées d’un court entracte — d’aucuns racontent que l’entracte sert au musicien libanais à apprécier la ferveur du public, et peut-être aussi un petit rafraichissement, et à décider s’il continue ou met fin au concert… mais ça, c’est d’aucuns qui le dit ! — Ziad Rahbani a multiplié les ambiances, et les genres, dans un langage musical très imagé, forgé probablement par le goût moyen-oriental de l’opérette et de la comédie musicale, et sa propre expertise en la matière. Il est d’ailleurs bon maintenant de rappeler que Ziad Rahbani est un pianiste, compositeur, mais aussi metteur en scène de talent, doublé d’un artiste engagé et communiste — ou devrait-on dire un communiste engagé et artiste — , qui fut l’un des principaux remparts du bon sens contre l’islamisme croissant pendant la guerre civile libanaise ; et autant dire qu’en Tunisie, qui depuis la révolution est assaillie par les pensées fétides de quelques calotins aux comptes en banques richement alimentés par l’étranger, et plus ou moins acoquinés avec le ventre mou qui dirige le pays, ce genre d’icône d’une gauche arabe malheureusement sur le déclin trouve une caisse de résonance importante et suscite énormément d’attente. Mais revenons à la musique.

Au fil des chansons distillées par Si Ziad, les images sonores pensées par le musicien libanais ont défilé devant nos oreilles. Il y a eu cette salle de bal enfumé, ce Cotton Club en noir et blanc qui prend des couleurs quand les coulisses des trombones s’activent, ce lieu de perdition, où l’on ne sait plus trop, dans l’ivresse des cuivres, si ce sont les notes de pianos de Ziad Rahbani, ou la voix de Cab Calloway qui résonnent à nos oreilles. Puis, alors qu’on se faisait à cette ambiance de contrebandiers d’alcool, et d’orchestre noir, et de danseuses trop poudrées, on se retrouve propulsé par un sax un peu funky, dans une voiture qui dévale dans une folle course poursuite les rues trop pentues de Los Angeles ou de San Francisco, au premier choc on perd les enjoliveurs, au deuxième on n’est plus dans la grosse muscle-car américaine au côté de Steve McQueen, mais dans le cosmopolitisme effréné de Beyrouth, on voit les façades de pierre jaunes de cette vieille mosquée coincée entre une église, et des bâtiments d’habitation modernes à l’orientalisme clairsemé, on file entre quelques échoppes de falafel et de houmous — trop cliché là — avant d’atterrir devant le souk principal avec ses allures de grand mall occidental, trop réel? Peu importe le bouzouki s’est tu, et c’est maintenant le clarinettiste qui fait se lever un soleil turc dans un champ d’abricotier en Anatolie. Puis le percussionniste nous fait embarquer à grand coup de congas dans une croisière dans les Caraïbes ; bon, en même temps, avec des grandes formations de jazz comme celle présentée ce soir-là, le risque de sonner comme ces orchestres qui se produisent dans ces énormes hôtels flottants ne plane jamais très loin. Pas grave, on prend notre mal en patience, on sirote notre verre sur le pont arrière en perdant notre regard dans le remous des vagues. C’est finalement le chanteur et oudiste égyptien, Hazem Chahine — quel chanteur et quel oudiste ! — oui, celui qui était sagement assis au centre de la scène depuis le début du show, qui a sublimé la soirée de sa voix magique, et, ramenant la musique à une pulsation plus orientale, en interprétant quelques grands classiques du maestro libanais pour le plus grand plaisir du public, qui parfois, souvent même, ont été un peu décontenancé par la teneur très jazzy du concert.

ENTRACTE — Le public, rechargé en pop-corn et en bouteilles d’eau fraiche, a finalement été jugé assez fervent pour que le spectacle puisse reprendre.

Et signe de Dieu, ou des Dieux, ou de Marx, communisme oblige, au même moment où Ziad reprend le concert sur un air très doux, un genre de sentimental mood à sa manière pour le dire vulgairement, la pesanteur chaude et moite de la soirée s’interrompt, un vent frais commence à souffler, bruisse dans les branches de l’eucalyptus, décrochant quelques feuilles qui viennent croisées les notes du pianos dans les rayons d’or des projecteurs, avant de choir sur scène, donnant un caractère automnal à une chanson qui s’y prête à merveille ! À la fin de cet instant de grâce, le concert à repris sur le même rythme qui avait été donné jusqu’à présent : salle de bal enfumée, rue de Beyrouth, croisière jazzy, café du Caire, verger anatolien, Liban, paquebot, volutes de narguilé, café, Beyrouth encore, club de jazz… les images se succèdent en ordres dispersés, le concert s’achève, certains dans le public sont déçus, ils auraient aimé plus de Fayruziat, plus de chansons orientales, plus de chansons engagées aussi, moins d’automatismes froids, mais ce n’est pas grave, Ziad Rahbani est revenu.

Ziad Rahbani @ FIH 55 Samedi 3 Aout 2019 :

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