Ambiance d’Hammamet : Kusturica et son cabaret pour détraqués serbo-latinos

Quelques heures encore avant le show rien n’était gagné, les sombres nuages s’amassant dans le ciel d’Hammamet, poussés par un vent chaud de terre, semblaient présager le pire pour le festival (et peut être le mieux pour la nature malmenée par la sécheresse estivale), une grosse pluie d’été !

Mais quelques heures plus tard, miracle, le ciel s’est dégagé, ne laissant sous les striures blanches des puissants projecteurs de la scène en bord de mer, que quelques nuages trainards, derrière lesquels la lune peine à émettre son halo blafard, et une humidité chaude. Sous ce ciel tropical bariolé de lumière, le public se presse de monter les escaliers menant à l’hémicycle festif pour espérer prendre les meilleures places.

— Non. Plusieurs rangées des premiers rangs sont déjà occupées par des officiels, probablement des invités du ministère de la Culture, fonctionnaires aux regards placides et à l’air blasé —

22 h 10, les gradins sont bien remplis ce soir, pas plein à craqué, mais rempli. L’écran de toile, sur lequel sont projetées à tue-tête, et jusqu’à l’usure, les publicités des partenaires du festival, se replie, les lumières s’éteignent, le public frémit. Dans tout le théâtre se met à résonner l’hymne soviétique, faisant se lever la foule comme un seul homme, même le béton des gradins semble trouver satisfaction a réentendre cette chanson chère à son architecte.

— pour ne pas s’effondrer, le théâtre peut tout de même compter sur un ancrage solide, celui des bancs réservés aux invités ministériels qui restèrent stoïques, les yeux rivés sur leurs téléphones, en même temps on peut les comprendre, ils participent à un gouvernement qui cherche, depuis son instauration, à mettre à bas l’héritage socialiste de Bourguiba —

Emir Kusturica, suivi de son No Smoking Orchestra, fait son entrée sous les acclamations. Ni une, ni deux, et sans préliminaires, le musicien serbe embarqua un public déjà bouillonnant dans sa grande fanfare. Violon, trompette, sax, guitare, basse, batterie, clavier, accordéon, tout l’orchestre fit vibrer la nuit, soulignant les voix graves aux accents gutturaux des chanteurs.

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Pendant près de deux heures, et à un rythme cadencé, Emir Kusturica a emporté le public avec sa unza unza music, une revisite balkanique et punk de la tradition tzigane, des rythmes sud-américains, de la chanson italienne, ou encore des chants de beuveries allemands. Le tout prenant, avec les chansons de son dernier album, Corps Diplomatique, une délicieuse tournure de cabaret décadent et burlesque. Car, si les Bérurier Noirs en leur temps soulevaient les foules avec leur concerto pour détraqués, Emir Kusturica, lui, avec son regard amusé, met en place sur la scène du Festival de Hammamet un véritable cabaret pour détraqués serbo-latino, mexicanisant pour les besoins de son nouvel album tous les noms des membres de son orchestre, et transformant en Julietta, la jolie Hajer ayant quitté le public pour esquisser, le temps d’une chanson, quelques mouvements de danse avec le violoniste, Dejan Sparavalo.

— du mouvement dans les rangs des probables invités du ministère ! Serait-il en train de danser ? Non, fausse alerte, c’est juste un homme ventripotent, coincé entre ses tissus adipeux, et le tissu rayé d’une chemise mal coupée, qui se tortille péniblement pour sortir un deuxième téléphone —

Pendant ce temps, le public, celui venu pour la musique et pour faire la fête, est au comble. Il se trémousse, balance bras et jambes en rythmes, applaudit, cris, danse, saute, dans un grand raout réjouissant, offrant ainsi une belle image d’une jeunesse tunisienne ouverte et festive. Il n’en faut pas plus pour l’artiste serbe, profitant de la folie de la nuit, et suivis de presque tous ses musiciens, il s’engouffre dans les escaliers du théâtre, et remonte au milieu du public conquis.

Après cette traversée de la foule, sur la travée horizontale centrale, qui divise l’amphithéâtre en deux parties, les chemises sont mouillées de sueurs, entre deux morceaux alors que le groupe fait retentir les notes trainantes de la panthère rose, l’on voit les éventails s’agiter, avant de se soulever de nouveau et de repartir dans une frénésie dansante.

Il faut dire que Emir et ses compères sont de véritables bulldozers du rythme, et de la fête, capable d’emporter avec eux le plus réticent des publics ; on a même aperçu le crane luisant de l’ambassadeur de France, Si Olivier Poivre d’Arvor, s’agiter au côté de la directrice du Centre Culturel de Hammamet, Mme Mounira Menif.

Presque brutalement, les musiciens lâchent leurs instruments à la fin d’une chanson, et regagnent les loges sans même saluer, laissant le public un peu hagard sous les lumières rallumées brutalement.

— ignorant le rappel, la partie ministérielle du public profite pour filer à l’anglaise… une perte… acceptable —

Sous les ovations le groupe revient, et renchaine les « Commandante », « Was Romeo Really A Jerk », et autres tubes du groupes, pendant encore une vingtaine de minutes, avant de finir en apothéose leur show sous les acclamations d’un public réjoui !

 

Emir Kusturica et le No-Smoking Orchestra au Festival International de Hammamet :

 

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1 Comment

[…] Emir Kusturica chantait (et chante toujours d’ailleurs) Unza Unza Time dans un grand fracas de fanfare, aujourd’hui c’est l’heure du Enza Enza Time avec le groupe angolo-portugais Throes + The Shine qui a pris l’habitude de chaque année de nous asséner, en live comme en studio, un défilé de pop et de rock dansant sur les écueils kuduro de la west coast angolaise. […]

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