Ambiance d’Hammamet : Madame M, une affaire de famille

La pièce de théâtre proposée ce samedi soir 13 juillet, sur la grande scène du Festival International de Hammamet, c’est Madame M, la première œuvre théâtrale de la jeune metteuse en scène et activiste culturelle Essia Jaibi. Et, malgré la soirée moite, du genre à faire baigné la lune dans un halo humide, et l’agitation et les embouteillages d’une soirée estivale dans la petite cité balnéaire d’Hammamet, le public est venu plutôt nombreux voire cette fameuse Madame M ! Alors certes il faut bien reconnaitre qu’il était peut-être un tout petit peu moins nombreux, mais d’une autre prestance, que durant l’ouverture du festival, qui était elle aussi dédié à une pièce de théâtre (d’une tout autre qualité, nous y reviendrons). Quoique, pour certain, le moment fut épineux, au point même que quelques-uns ont même quitté le théâtre avant la fin de représentation. Faut dire que Essia Jaibi et ses acteurs ne ménagent pas vraiment les esprits prudes, allez, disons le même, les coincés, et qu’ils placent leur art aux antipodes de cette Tunisie médiocre, peureuse, conservatrice, et même souvent islamisante que l’on voit recommencer à se propager, ça et là.

Un peu à la manière d’un grand banquet à la Festen, d’un Las Tunis Parano en habit de scène, Madame M nous plonge dans une intrigue familiale haletante qui fraye avec les grands démons de cette Tunisie sur le recul : la famille monoparentale, le sexe, le sexe avant le mariage, l’homosexualité, l’absence du père, le refus de se noyer dans la norme, la différence, l’émancipation, et côtoie même les vrais démons de la Tunisie progressiste : les faux semblants, le paraitre, le journalisme au rabais, la médiocrité en marche, ah mais là on se répète !

D’ailleurs, revenons-y à cette fameuse pièce d’ouverture du festival, un spectacle fort triste, et assez symptomatique de cette Tunisie que la Révolution a fait basculer dans le 21e siècle, alors que ses dirigeants, eux, sont restés bloqués loin dans le 20e siècle. La pièce, dans une mise en scène plus qu’amateur, rappelant un sketch des Monthy Python, l’humour et le talent en moins bien sûr, a la prétention de revenir sur la création d’un état… Un sujet traité déjà plus qu’abondamment dans cette jeune Tunisie post-révolutionnaire. Mais, plutôt que de prendre inspiration dans cette jeunesse éprise de liberté et d’émancipation, l’auteur, un vieillard, a fait le choix, lui, de mettre en vedette de vieux bédouins islamistes en guenilles… malaise ! On est bien loin de la Tunisie de la Révolution, de la Tunisie de Bourguiba, ni même de la Tunisie berbère, et encore moins de la Tunisie carthaginoise. Mais passons, le pire dans tout ça, et d’ailleurs c’est qui nous permettra de clore ce trop long paragraphe, et de revenir à la vraie vedette de cet article, Madame M… non Essia Jaibi, disons les deux ! le pire c’est qu’à l’heure où beaucoup de dramaturges, d’auteurs, et d’artistes tunisiens cherchent à faire du dialecte tunisien, le derja, une langue à part entière, cette pièce d’ouverture pourtant financée par de l’argent public, pourtant applaudi par le ministre de la culture lui-même et par son aréopage de gueule patibulaire en costume cravate étriquée, dont il est difficile de distinguer qui est député ennahdiste, et qui est garde du corps, a fait le choix singulier d’être uniquement en arabe littéraire. Et ce choix… c’est celui du petit confort de l’immobilisme, celui de l’étranger, celui du passé, c’est comme si Dante avait choisi le latin, et non l’italien balbutiant, pour écrire son Paradis, comme son Enfer, et même ! même son Purgatoire !

Alors voilà, revenons-en à cette Madame M, et sa langue tunisienne, son dialecte, ce derja qui fait peur à cette classe dirigeante frileuse, cette langue populaire, vulgaire souvent, belle parfois, a autrement plus de pertinence, autrement plus de puissance que des mots empruntés. Et à la force du mot s’ajoute une musique de choix alternant entre opéra baroque et soul, et une mise en scène fort élégante et fort épurée, portée par quelques chaises, une lumière bien maitrisée, un grand cadre rectangulaire, scène intime dans la scène publique, bordé de spectateurs de chaque côté, et pivotant sur lui-même, emportant dans sa… révolution, les tourmentes de Madame M et de ses enfants, les avanies et les algarades, les non-dits, le jeu, remarquable, des acteurs, et… le public !

Bravo à cette affaire de famille aux échos d’arsenic, bravo aux acteurs, bravo aux techniciens, et bravo à Essia Jaibi !

Madame M de Essia Jaibi (teaser) :

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