Ayi Hillah, poète, nouvelliste et romancier : rencontre avec un homme de lettres

Le poète, nouvelliste et romancier, Ayi Hillah est ce qu’on appelle un vrai homme de lettres, tant par sa plume que par sa grande érudition d’un monde littéraire artistique et vivant, qui trahit les frontières géographiques, autant que les frontières du temps .

Au travers de ses œuvres il nous dépeint avec toute sa poésie, sa sensibilité,  et sa singularité, la réalité du monde qui nous entoure. Né en 1976 à Lomé au Togo, il réside maintenant en Belgique, d’où il a accepté de répondre à quelques une de nos questions :

 

Djolo : Nous vivons dans un monde de communication, un monde interactif, ou les usages des nouvelles technologies tendent à fragmenter et raccourcir le temps que l’on accorde à chacune des taches de notre quotidien ; et induisent même de nouveaux schémas d’écritures, voire de pensées, avec twitter par exemple, qui restreint la longueur des publications à 140 caractères. Quels est votre point de vue d’écrivain, d’homme de lettres sur sujet ?

  • Ayi Hillah : Eh bien, la fragmentation dont vous parlez me semble une pathologie qui gagne du terrain. Je consens qu’il y a dans le dictionnaire français le mot « abréviation », mais quand cela devient fantaisiste et qu’il faut faire des gymnastiques intellectuelles formidables pour déchiffrer les messages, je dis que nous n’avançons pas, au contraire, nous régressons. À ce propos, je regrette le bon vieux temps où, être champion d’orthographe était une parure que l’on arborait avec fierté. Quant à la « dictature » de twitter : écrire peu pour signifier beaucoup, elle n’est pas aussi mauvaise que ça.

Djolo : Vous maniez, dans votre œuvre, aussi bien la prose que les vers (cf. Les Lyres de Septembre et Chants et Visions) ; qu’est-ce que la poésie vous permet d’exprimer de plus que la prose?

  • Ayi Hillah : Mes lecteurs le savent, ma poésie n’est pas engagée. Elle n’est pas non plus épique ni laudative. En revanche, elle est rarement descriptive et se veut lyrique. Plus que la prose, elle me permet d’exprimer mes sentiments et mes émotions. Vous savez, Je suis né tendre et ingénu. Les choses extérieures, à peine vues, suscitent en moi des réactions de tendresse, de tristesse et de mélancolie. À cet effet, il me souvient avoir pleuré plusieurs fois sur le sort d’un mendiant dans la rue ou, des fois, sur celui d’un passant ordinaire que rien ne distinguait des autres. Frêle comme tout, je défendais et les objets et les insectes. Tout semblait avoir une âme à mes yeux. Avec un peu de recul, je peux affirmer, sans prétention, que je suis né poète. Ne soyons pas humbles jusqu’à la mort. (rire)

Djolo : Dans votre recueil de nouvelles Mirage, quand les lueurs s’estompent vous traitez, au travers d’une série de portraits, du thème de l’immigration… vous-même êtes togolais, et vivez en Belgique. Quel a été votre expérience de l’immigration ? Et que vous inspirent les débats souvent nauséabonds que l’on a en Europe à ce sujet, alors même que toutes les analyses montrent que les migrants sont économiquement bénéfiques aux sociétés européennes?

  • Ayi Hillah : Jusqu’à récemment, je pleurais encore quand je me remémore mes premiers moments en Europe. Puis, un jour, suivant les informations, je me suis dit : « Tiens, Ayi, tu n’es pas le plus à plaindre ». Évidemment, je ne suis pas venu en Europe sur une pirogue ou par le désert Libyen. (rire) Quant à l’instrumentalisation de la question de l’immigration dans les sociétés occidentales, c’est bien malheureux dans la mesure où les politiques surfent sur cette vague pour arriver à leurs fins ; l’obtention des suffrages, au lieu d’éclairer le peuple. La masse est dupe et c’est bien dommage.  

Djolo : Dans votre dernier ouvrage L’exotique, un primitif en Silésie , vous traitez à nouveau d’un sujet en lien avec le voyage, le dépaysement, le rôle de l’éternel étranger qu’occupe l’Africain en occident ; on peut se demander si cette question, au-delà de l’Africain, ne concerne pas plus globalement l’homme noir en occident ; surtout lorsque l’on voit le traitement qui est réservé au Afro-Américains, alors même qu’ils sont parfois Américains depuis plus longtemps que leurs agresseurs ? Et n’y-a-t-il pas dans l’éducation occidentale, de cruelles lacunes quant à l’apprentissage de l’histoire, et même de la géographie de l’Afrique ?

  • Ayi Hillah : Votre question porte en elle la réponse au mal dont vous faites état. Vous savez, il me semble que les Noirs sont les seuls à étudier l’Histoire. Beaucoup d’occidentaux ; Américains, Canadiens, Australiens et j’en passe, ne savent pas qu’ils vivent en terre étrangère. S’ils savaient leur propre histoire, je crois qu’ils seraient moins ignorants des questions relatives à l’immigration, au racisme et aux exclusions de toutes sortes. Puis, parlant de géographie, beaucoup pensent que l’Afrique est un pays. Ils ignorent également qu’elle est la vache à lait des puissances occidentales.

Djolo : Quels sont vos futurs projets littéraires? On entend parler sur internet, d’un éventuel futur ouvrage intitulé « Polska, la saga d’un périple », est-ce toujours d’actualité, et pouvez-vous nous en dire un mot?

  • Ayi Hillah : Dans un futur proche, je publierai un roman dont je tais le titre. J’ai également un recueil de poèmes qui traine depuis un moment déjà. J’espère le publier courant 2015. Pour le reste, une promotrice culturelle qui aime les défis se charge de me faire faire une tournée européenne pour rencontrer mes lecteurs. J’annoncerai les dates au fur et à mesure. Aussi, je me rendrai en Pologne pour présenter l’Exotique. Ça sera en Avril 2015.

    Ah, belle question « Polska ou la saga d’un périple». C’était le titre que j’avais donné à L’exotique pendant que le roman était en cours d’écriture.

Djolo : On parle beaucoup de cette tradition africaine de l’oral, que l’on retrouve dans beaucoup de cultures du continent, quel regard l’homme de l’écrit que vous êtes porte dessus, et quel place lui accorder ?

  • Ayi Hillah : Je pense qu’il ne faut pas seulement amener l’enfant, comme le disait si bien Cheik Amidou Kane, à l’école où on apprend à vaincre sans avoir raison. Il faut aussi l’initier à la tradition orale qui est une véritable école où il apprend non seulement les contes et les légendes, mais aussi la relation d’événements comme le peuplement d’un territoire, la succession des chefs, des famines, des rivalités et des guerres avec les populations voisines et aussi les explications sociologiques et historiques de ce qui se rapporte à l’organisation de la société. Moi j’ai été à cette école et j’y retourne chaque année.

Djolo : D’ailleurs auriez-vous un mot à dire sur le Togo, sa tradition, son histoire ancienne comme moderne, sa culture? Et quelle part cela représente-t-il dans votre manière de voir le monde ?

  • Ayi Hillah : Quand je vois la taille du territoire togolais, son peuplement hétéroclite, son attachement aux valeurs primitives de la morale, la solidarité, l’entraide, l’acceptation de l’autre, je me dis que le monde gagnerait à copier sur nous. Attention : Je ne parle pas de l’État togolais comme on le définit en politique. Non, je parle juste des populations togolaises.

Djolo : Pouvez-vous nous citer quelques ouvrages cruciaux, issus de la littérature africaine?

  • Ayi Hillah : La liste est longue : Antériorité des civilisations nègres de Cheikh Anta Diop, Chaka de Thomas Mofolo, Le monde s’effondre de Chinua Achebe, A Grain of Wheat de Ngugi Wa Thiong’o, Philosophies Africaines de Séverine Kodjo-Granvaux, Aminata de Lawrence Hill. Soundiata ou l’épopée Mandingue de Djibil Tamsir Niane, Amkoullel l’enfant peul, Amadou Hampâté. Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma ctc…

Djolo : Alors même si vous n’avez pas encore l’âge, selon la culture malienne, du vénérable vieillard, auriez-vous tout de même un conseil à donner aux jeunes, qui sont tentés de prendre une feuille et un stylo… ou plutôt, de nos jour, ouvrir un traitement texte, et de se lancer dans l’écriture?

  • Ayi Hillah : Ce n’est point par modestie que je refuse souvent cet exercice. C’est plutôt par principe de vie. Je n’aime pas les donneurs de leçon. Ne pensez-vous pas que chacun est libre de se bruler les ailes autant de fois qu’il peut ? Ce n’est pas du tout cynique.

Djolo : Je vous remercie pour cet entretien

  • Ayi Hillah : C’est moi qui vous remercie.

 

BIBLIOGRAPHIE DE AYI HILLAH :

–          L’exotique, Un primitif en Silésie, Roman, Éditions l’Harmattan, février 2014

–          Mirage, quand les lueurs s’estompent, Nouvelles, Éditions L’Harmattan, Juin 2012

–          Chants et Visions, Poésie, Éditions Edilivre, Juillet 2012

–          Les lyres de septembre, Poésie, Éditions Chloé des Lys, Mai 2008.

 

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4 Comments

Au lycée, tu étais un garçon effacé, toujours dans ton coin, en train de lire. Le prof de français nous lisait tes copies. Puis je t’ai retrouvé à l’université. C’était avec joie que je t’ai revu cette année 2014 à Lomé. Merci encore pour l’exotique. ce livre, je l’ai lu en une journée; beaucoup d’humour, une note de tristesse, mais un roman bien mené. J’espère te revoir l’année prochaine, en septembre encore ? Tu fais la fièrté de notre gérération.

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